Le premier testament des Mangphus

Description

« Au départ, ce récit aux assonances mythologiques, j’avais l’ambition – démesurée – de le faire tenir dans l’économie d’un seul mot. Moins qu’un mot: un signe, une lettre, la première lettre du premier alphabet du premier homme.

J’y parvenais, tel le chrétien réussissant la prouesse de faire tenir son Évangile, son Christ, sa Rédemption, son Salut, son Monde dans un seul signe – devenu puissance symbolique – fait de deux traits, le signe de la croix. Prodigieuse capacité qu’à l’humain d’enclore son monde, rempli de ses valeurs, dans un signe aussi élémentaire quand à sa graphie: deux traits, l’un vertical, l’autre horizontal, se coupant à angle droit.

Mais, autant tous les chrétiens du monde saisissent d’un seul regard le signe qui ceint tous les matériaux de leur foi, autant étais-je seul à accéder aux dimensions presque infinies du récit ramassé dans ce vulvogramme emprunté au premier homme. Il m’a fallu finalement faire œuvre de scribe prosélyte: après avoir écrit pendant neuf ans la lettre des milliers de fois sur des milliers de pierres, sur des milliers d’arbres, sur des milliers de pages, animé d’un mouvement rythmique qu’on pouvait assimiler à un rite, à une incantation, j’ai dû me conformer à un travail similaire à celui des rédacteurs du Rig-Veda, ou de la Bhagavad-Gita, ou de la Torah, ou du Coran: écrire en délayant le symbole en un afflux de mots – et tant pis si les mots mentent toujours un peu ou beaucoup -, car raconter l’histoire de l’origine du monde, l’histoire de la vie, l’histoire du féminin gynéçant, ça n’avait des chances de devenir accessible au monde que dans le langage de tout le monde. Il fallait que ce sacré incandescent se mette à la portée de l’ilotisme profane, et le pénètre, à la plume ou au burin. »

Claudius de Cap Blanc